Je dirais que la première chose qu’on devrait apprendre – si ça a un sens d’apprendre quelque chose comme ça -, c’est que le savoir est tout de même profondément lié au plaisir, qu’il y a certainement une façon d’ érotiser le savoir, de rendre le savoir hautement agréable. Que l’enseignement ne soit pas capable même de révéler cela, que l’enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, gris, peu érotique, je trouve que c’est un tour de force. Mais ce tour de force a certainement sa raison d’être. Il faudrait savoir pourquoi notre société a tellement d’intérêt à montrer que le savoir est triste. Peut-être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus de ce savoir. […] Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme une frénésie de faire l’amour. Vous imaginez le nombre de gens qui se bousculeraient à la porte des écoles. Mais ça serait un désastre social total.
Il faut bien, si l’on veut, restreindre au minimum le nombre de gens qui ont accès au savoir, le présenter sous cette forme parfaitement rébarbative, et ne contraindre les gens au savoir que par des gratifications annexes ou sociales qui sont précisément la concurrence, ou les hauts salaires en fin de course. Mais je crois qu’il y a un plaisir intrinsèque au savoir, une libido sciendi comme disent les gens savants, dont je ne suis pas.
— Michel Foucault, Radioscopie, 10 mars 1975